Rafael aragon : le monde en 1001 musiques

Rafael aragon : le monde en 1001 musiques

Rafael Aragon est de ceux qui se confondent avec leur art. Il vit ses productions comme un transfert vers son public. Rafael est un artiste global. Global comme le nom du courant musical dont il est un des acteurs prépondérants, ou un des initiateurs ou un des catalyseurs :

 

La Global Bass

 

Nom qui tente de résumer une foultitude de styles fusionnant la musique électronique et les musiques du monde. Nom qui fédère de nombreux artistes et qui se nourrit de l’incroyable diversité des musiques traditionnelles et folkloriques, source inépuisable de découvertes et d’inspirations.

Globe-trotter, explorateur des musiques du monde, compositeur sans frontières, passeur de disques et surtout passeur de culture, Rafael Aragon a fait de la planète son jardin musical d’où il extrait l’essence des musiques traditionnelles et folkloriques auxquelles il offre une nouvelle vie à travers ses productions. Animé par sa curiosité et sa passion du son, transmetteur de bonnes vibrations, ici nul besoin de traducteur : ses performances sont des bijoux d’acuité et de profondeur et nous entraînent dans une expérience sonore, un ballet initiatique, tour à tour transe mystique ou voyage spirituel. Sa musique est faite pour nous transporter, nous emmener ailleurs, au seuil de notre conscience, celle de l’humanité.

La liste de ses productions est impressionnante: albums, EP, remixes… sur nombre de labels différents.  Fruit de sa collaboration avec Kaygee, un nouvel EP est sorti le 28 mai 2021, pour un nouvel opus hautement énergétique :

 

METAMINE chez Cosmovision Records

 

7 morceaux dont 3 remixes (par Vinzoo, Mamazu et Luett Matten) qui nous accompagnent de contrées lointaines en chants sacrés : sarabande de sonorités orientales, ukulélé, flûte de pan, percussions éthérées, nappes enveloppantes, sons hypnotiques…

C’est magnifique, ça fait du bien et c’est disponible en écoute et téléchargement ICI :

 

 

 

Voici l’interview de Rafael Aragon dans laquelle il nous laisse entrevoir sa vision de la musique et de son art, nous parle de son parcours, de certains de ses mentors et où il nous fait découvrir quelques-unes des musiques qu’il affectionne particulièrement pour nous rendre, nous aussi, curieux.

 

 

 

 

 

Rafael, tu es un des artistes incontournables de la scène global bass, un de ceux qui ont contribué à l’émergence de ce style, avec un nombre foisonnant de projets à ton actif. Les appellations musicales c’est souvent un peu réducteur, te retrouves-tu dans cette appellation global bass et si tu devais en donner ta propre définition quelle serait-elle ?


C'est évident que les étiquettes sont très souvent réductrices et que leur qualité réside dans le fait de créer un consensus, ou en tout cas qu'un grand nombre de personnes s'entendent sur leur définition. Dans le cas de la Global Bass, c'est en fait plutôt l'inverse ! C'est une appelation qui, pour moi en tous cas, est très inclusive et ouverte, mais qui en revanche ne fédère pas énormément. Je pense qu'elle est majoritairement inconnue du grand public, et je pense que pour les connaisseurs ou les acteurs de la scène, sa définition est assez changeante.

Pour ce qui est de ma propre définition, pour moi c'est une étiquette qui remplace et traduit l'appelation "electro-world", qui a pu s'utiliser à une certaine époque. Désigner une musique par "electro" aujourd'hui ça ne veut plus dire grand chose, puisque le digital et la production musicale sont partout maintenant. Et "world" est une étiquette vraiment euro-centrée, et un peu parente de l'exotisme, et il y a aussi des termes dans la musique qui ont besoin d'être décolonisés.

Donc Global Bass c'est un style, ou une famille de styles, qui est à la confluence des musique traditionnelles et folkloriques, et des musiques électroniques. Et pour moi on peut la décomposer en deux tendance, celle de remixer, réinventer l'ancien, la tradition... Et une autre qui regroupent des genres et des scènes de "dance music" émanant des centres urbains de tous les continents, et qui s'inspire des traditions musicales locales ou de la diaspora. On peut citer par exemple le kuduro angolais, le baile funk brésilien, tribal guarachero mexicain ou maraghanat egyptien.

Si on devait résumer tout ça, j'aime bien penser la musique que je joue comme une forme de syncrétisme musical, une fusion de cultures à la fois géographique et temporelle.

 

Tu es passé par la musique classique, le dub , le rock prog et psychédélique, ces musiques font partie de tes influences et cela se retrouve dans ton travail. Qui seraient pour toi les précurseurs de la global bass et en quoi le sont - ils ? Aussi bien au niveau du son ou de la structure musicale que de l’intention et la vision du monde derrière la musique...

Si je ne devais garder qu'un précurseur de ce style, ça serait probablement l'artiste et compositeur camerounais Francis Bebey. La démarche musicale qu'il a eu (principalement dans les années 70 et 80) représente parfaitement l'esprit de curiosité, de diversité et d'universalisme qui anime le mouvement global bass. Il a été un grand étudiant des musiques traditionnelles africaines dans leur diversité, et à travers sa musique, il a fusionné le makossa camerounais avec d'autres folklores africains et avec le jazz, l'electro et la pop. Il y a tout de l'artiste - sampler moderne dans sa façon d'incorporer des rythmes, des mélodies et des instruments d'autres cultures dans sa musique (la flute pygmée étant un des exemples les plus illustres).

Plus généralement on peut parler déjà d'un mouvement global dans ces décénies là, avec l'émergence du tropicalisme brésilien (Os Mutantes, Jorge Ben, Gilberto Gil, etc) ou de l'anadolu pop en Turquie (Baris Manço, Erkin Koray, etc). On peut aussi parler des Beatles avec leurs excursions dans la musique classique indienne, et déjà le plaisir de jouer et transformer les pistes, de sampler des cris de mouette pour les passer à l'envers. On peut aussi parler du dub et de la culture de sound system pan-caribéenne. Bref, la tendance à fusionner les cultures musicales entre elles, à utiliser les nouvelles techniques de production musicales pour réinventer la tradition, est en fait très profonde dans l'histoire de la musique...

 

Tu es un artiste de scène avec une liste impressionnante de performances à travers le monde, ta musique est très riche, avec des structures variées, parfois très contemplative, autant que très dansante et festive. Par delà cet esprit festif, que souhaites-tu transmettre à ton public ?

Je pense qu'avant tout ce que j'ai envie de transmettre, c'est la curiosité. C'est profondément ce qui m'anime depuis toujours dans la musique, et en tant qu'être humain d'ailleurs. La curiosité, c'est du désir, c'est ce qui pousse à aller voir ailleurs, à aller voir l'autre. Mais c'est aussi la curiosité de sa propre profondeur, de sa spiritualité. Pour moi la musique c'est étroitement lié à la spiritualité. Et en fait, c'est pas que moi, c'est pour l'humain en général on dirait bien...
En tous cas c'est clair que la curiosité ne dépend aucunement du contexte festif... La musique s'écoute aussi seul, assis ou couché, en introspection, en communion, à moitié endormi, etc... J'ai à vrai dire toujours aimé l'ambient ou la musique classique ou expériementales, des musiques qui ne cherchent pas la danse ou le groove. De même que j'ai toujours aimé jouer pour des publics assis ou couchés.
Evidemment la danse est intimement liée à la musique, mais il y a des dimensions de la musique qui dépassent la danse. A vrai dire il y a énormément de dimensions dans la musique, et je trouverais dommage de ne partager avec mon public que quelques unes d'entre elles.

 

J’ai lu que tu envisageais peut-être dans le futur de créer un lieu , un club « chill out » alliant musique, avec des évènements de jour ou en after-party, et des espaces expérientiels pour de l'ecstatic dance ou de l’immersion sonore ? Penses -tu que la musique a une influence importante sur notre psychisme et notre état physique et peut -elle contribuer à soigner ou réparer ? As - tu des exemples ?

Je suis persuadé que la musique, la vibration, a des effets physiques et psychiques, des effets biologiques, médicinaux. C'est un pan très intéressant et prometteur de la science sans aucun doute. Mais en même temps, bizarrement, ça m'intéresse assez peu. La musique a déjà pour moi une puissance énorme au niveau spirituel et au niveau social. Il suffit de regarder l'histoire de l'humanité pour se rendre compte que c'est indéniable. Donc pour moi il n'y a pas tellement d'intérêt à le démontrer scientifiquement, si ce n'est pour la curiosité scientifique, ce que je comprends complètement.

 

Tu as collaboré à des projets cinématographiques en composant musiques et bandes originales. Avec qui aimerais- tu absolument travailler si on te le proposait et quel(s) serai(en)t ton ou tes films « coup de coeur » ? Pour le film (bien sûr) et surtout pour la bande originale...

Si on a le droit de complètement rêver, alors travailler sur un film de David Lynch c'est quelque chose qui me plairait beaucoup, je trouve qu'il a une approche synesthésique et complètement psychédélique et onirique du cinéma. Mais plus sérieusement, j'aimerais travailler avec de jeunes réalisateurs, des gens qui commencent et qui ont quelque chose à dire de neuf et d'intéressant. Et si le film peut avoir un contenu social, c'est encore mieux !

 

La global bass est par essence « hors frontières » et tu fais partie de ceux qui font cet esprit d’ouverture. Comment envisages-tu l’avenir de cette musique, aussi bien sur le plan créatif que scénique ?

C'est une bonne question. Je ne sais pas vraiment si la global bass finira par faire "scène" et devenir un vrai style à part entière. J'ai l'impression que ce qu'il se passe plutôt c'est que ça devient une tendance qui inspire d'autres styles. Il y a clairement un intérêt grandissant pour les éléments folkloriques dans les musiques electroniques. La house et la techno s'enrichissent de plus en plus d'éléments de musique "orientale" (arabe-berbère-turque-persane) - Acid Arab étant un bon exemple, local, de cette tendance. C'est vrai aussi pour les musiques afro-latines... C'est une tendance qui existe depuis un moment déjà, notamment au Royaume Uni, avec ce qu'on a appelé "Tropical House" ou "Tropical Bass". Il y a aussi le même mouvement avec le downtempo, qui est devenu le style de musiques électroniques qui intègre le plus d'éléments folkloriques. On parle même maintenant de "Folktronica" ou "Organic House".

Par ailleurs, je pense que les "sous-scènes" de la Global Bass vont continuer à se dévelloper séparément. Le mouvement Afro-House (ou Afrobeats - au pluriel), s'est fort dévellopé ces 10 dernières années. Le Maraghanat (ou electro-chaabi) est également très en vogue dans le monde arabe. Le baile funk existe depuis longtemps mais il fait déjà des petits en se fusionant avec d'autres styles (rasteirinha, favela trap).

On peut aussi noter (et espérer), que l'Europe commence à redécouvrir son propre folklore (pas que musical d'ailleurs). Le succès grandissant d'artistes comme Baiuca, qui réinvente le folk galicien à la sauce global bass, est une belle source d'espoir. Il y a plein d'autres exemples en Espagne de folklore régional revisité et modernisé, les andalous de Califato 3/4, l'asturien Rodrigo Cuevas. Bien entendu la configuration politique de l'Espagne post-franquiste aide pas mal à ce renouveau régional. En France c'est bien plus compliqué, mais j'espère que ça va suivre, et je pense que par exemple il existe une vraie dynamique culturelle (pan)occitanne, de même pour la Bretagne...

 

 

Dans ton processus créatif, ton inspiration provient-elle d’abord d’une musique traditionnelle ou folklorique que tu as entendue, ou est -ce tel type de musique qui s’impose à toi ou encore est - ce un tout, une évidence sonore qui se fait ?

Ca dépend grandement. Par le passé j'ai développé des envies particulières de travailler avec telle ou telle tradition musicale, et je pense que ça se reproduira dans le futur. Mais en général quand je commence un morceau j'essaye de ne pas avoir d'idées préconcues de ce que je veux faire, et je préfère dompter le hasard et me laisser guider par quelques combinaison qui m'inspirent. Après c'est évident que certains traits de certaines traditions musicales sont assez profondément enracinées en moi, et qu'elles ont tendance à ressortir facilement. Par exemple il est évident que j'aime beaucoup travailler avec les rythmes ternaires, qu'ils soient d'influences berbères ou du côté de la samba et du candombe (cousin afro-uruguayen de la samba). J'aime aussi beaucoup faire apparaitre les ponts musicaux qui existent historiquement entre différentes traditions musicales, et qui sont méconnus. Faire ressortir les racines vaudoues de la musique gnawa, ou bien relier entre eux différents syncrétismes musicaux issus d'une même région (on peut retrouver des traits musicaux de la région de l'Angola à la fois dans le Maloya réunionais ou dans la samba... ou mettre en avant l'origine Kongo de la Cumbia par exemple)...

 

Au début de ton parcours, tu faisais de la musique acoustique et au cours de ta carrière tu as mené beaucoup de projets incluant des instruments acoustiques. Quel est l’apport de l’électronique dans ta musique, qu’est- ce qui ne peut, à ton avis, être remplacé par un son synthétique et enfin, as-tu des projets 100% acoustique ?


Je dois dire que c'est une opposition que je n'aime pas tellement. J'ai toujours aimé brouiller les pistes, qu'on ne sache pas exactement ce qui est joué, ce qui samplé ou ce qui est synthétisé. Je trouve que cette zone ambigüe de sonorités organiques dont on ne sait pas si elles sont acoustiques ou synthétiques, c'est un terrain de jeu infini. Et puis j'ai toujours pensé qu'au delà des aspects techniques, ce qui est important c'est ce qui sort des enceintes, et ce qui rentre dans nos oreilles.

En tous cas, de la même façon qu'on ne doit pas penser le corps et le psychologique de manière séparées, c'est la même chose pour l'acoustique ou le synthétique.

Pour moi l'électronique c'est surtout un moyen de production, un moyen qui permet une infinité de possibilités musicales. On peut enregistrer un album 100% acoustique, ou composer un morceau qu'avec des synthés. Depuis que je suis tout petit je veux être compositeur. J'ai bien sûr commencé avec ce que j'avais à la maison (un piano), mais dès que j'ai découvert l'outil electronique, c'est comme si j'avais d'un coup un orchestre à ma disposition.
Donc oui, pour moi la musique electronique, c'est le fantasme de l'homme orchestre rendu possible et (c'est un point très important), abordable moyennant un très petit budget. C'est un point très important au niveau politique et une évolution musicale d'ampleur mondiale, avec un impact énorme sur l'industrie musicale, sur la façon de faire de la musique, et sur l'émergence de musiques populaires venant d'un peu partout dans le monde.
On voit bien que c'est d'une grande importance politique, par les discours classistes, réactionnaires et bourgeois du genre "si tu mixes pas sur vinyle t'es pas un vrai dj", "le mp3 c'est cheap et ça sonne moins bien que les disques" ou "l'analogique sonne mieux que le digital". D'ailleurs on parle bien de "démocratisation de la musique".
Et d'ailleurs l'émergence même de style comme le global bass dépend entièrement de la digitalisation des moyens de productions musicaux. C'est parce qu'il suffit d'un vieux pc et d'un logiciel cracké qu'on a la joie de découvrir la musique des ghettos du monde entier.

 

Tu as beaucoup voyagé, quels sont les pays que tu n’as pas vu et que tu souhaiterais absolument visiter et les musiques traditionnelles que tu n’as pas encore explorées mais que ça ne saurait tarder ?

 

Je sais évidemment que j'ai de la chance par rapport à plein de gens, d'avoir pu faire tous ces voyages. Mais j'ai l'impression d'avoir beaucoup voyagé aux mêmes endroits, et qu'il me reste beaucoup à découvrir. Donc au lieu de faire une longue liste, je vais me restreindre au voisinage européen. J'ai très envie de découvrir l'Albanie et le Kosovo, ce sont des cultures très intéressantes et méconnues alors qu'elles sont si proches. On résume souvent la culture des balkans à un vague fantasme gitano-slave, alors qu'il s'agit d'une des parties du monde les plus riches et dense culturellement, avec une diversité et des nuances incroyables, plein de mélanges linguistiques et musicaux.

Par ailleurs, j'ai très envie de travailler avec le folklore de la grande zone occitano-catalane, notamment avec la musique pastorale des pyrénées, qui est malheureusement relativement mal documentée.

 

Penses-tu que le courant global bass pourrait favoriser l’essor d’une nouvelle musique traditionnelle donc d’une nouvelle culture ? Y a - t - il ou y aura - t -il un peuple global bass ;) ?

Je pense que je t'ai un peu répondu plus haut. Je ne pense pas que ce soit l'émergence d'une nouvelle culture, je pense que c'est plutôt une forme de post-modernisme. Ce que je souhaite, c'est qu'on dévellope une curiosité accrue pour le folklore en général, et au delà de l'exotisme, pour le folklore européen qui est enseveli sous des années d'obscurantisme religieux et de normalisation capitaliste.
J'espère qu'un public plus large va s'intéresser à cette musique et à ces thématiques, mais j'ai l'impression que c'est le cas, petit à petit !

 

Enfin, as- tu envie de nous dire un truc pour finir ? Ton mot de fin préféré ;) ?

Je dirais : "Soyez Curieux" et "A bas le patriarcat ! "

 

ZH.

 

 

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